Et vous pensiez que la « Guerre Contre la Terreur » était finie ? Pas pour François Hollande…2/2/2013 Par Victoria Fontan et Adolphe Kilomba Traduit de l'anglais par Mait Foulkes On dit que l’on n’a rien sans rien… Un Etat peut-il vraiment se poser en sauveur désintéressé de l’une de ses anciennes colonies ? La France a lancé l’Opération Serval au Mali le 11 janvier 2013, officiellement pour repousser « un assaut par des éléments terroristes venant du nord, dont la brutalité et le fanatisme sont connus dans le monde entier».(1) Il est vrai que le nord du Mali était la dernière victime en date d’un régime similaire à celui des Talibans, qui terrorisait les populations qui y étaient soumises. L’amputation publique de voleurs présumés ainsi que des lapidations ont eu lieu dans la ville de Gao pour faire respecter la charia.(2) L’héritage culturel et architectural de Tombouctou a été détruit.(3) Les femmes ont été contraintes de porter le hijab musulman, les populations locales se sont vues soumises à un couvre-feu, et une police islamique veillait au respect de ces mesures. Bref, l’idée que n’importe quel Occidental se ferait de l’enfer sur terre. Pour des chercheurs en Paix et Conflits, c’est un rappel alarmant de la situation en Afghanistan avant 2001. Souvenons-nous : combien d’intellectuels français pensaient alors que la « Guerre Contre la Terreur » de Bush était une erreur grave, que sa rhétorique était ridicule, voire grotesque. Son discours, « Enfumons-les pour les faire sortir de leurs terriers », nous paraissait être celui d’un abruti texan, parvenu on ne sait comment à la Maison Blanche. Avance rapide : quelques années plus tard, ce cher président François Hollande répète exactement le même message à son auditoire captivé. Il dit qu’il veut « éradiquer le terrorisme » (4): tant mieux pour lui ! Les mentions de terrorisme, d’extrémisme et d’islamisme se sont multipliées dans les médias français ces derniers mois, culminant en une intervention qui est supposée « sauver les Africains d’eux-mêmes »… Comment rendre cela plus acceptable pour l‘opinion publique française, quelques semaines à peine après le rapatriement des troupes françaises du bourbier afghan ? Essayons de « sauver » un otage français, Denis Allex, des griffes diaboliques d’ « islamistes » somaliens, quelques jours avant le lancement de l’Opération Serval. Cela montrera aux Français de façon indiscutable à quel point ces « islamistes » sont nuisibles. Peu importe que l’agent de la DGSE soit sacrifié sur l’autel de la propagande d’Etat au cours d’une intervention en dernier recours ; lui et sa famille devaient bien s’y attendre quand ils signèrent au bas du contrat des années auparavant ! La situation au Mali depuis le début de 2012 est l’un des sujets brûlants qui ont retenu l’attention de la communauté internationale. Après deux décennies de stabilité politique et la tenue de plusieurs élections démocratiques, le Mali, à l’instar de plusieurs autres Etats africains, demeure faible, avec un appareil d’Etat impuissant. Plus de 50 ans après leur indépendance, les Etats africains font toujours face aux mêmes problèmes que dans les années 1960. Ils ne sont pas encore parvenus à s’affranchir de leur ancien pouvoir colonial.(5) Chaque Etat demeure sous le diktat de sa métropole occidentale. Ce système honteux continue à guider la politique du Conseil de Sécurité de L’ONU quand il examine les questions relatives à la paix et la sécurité dans la région. Le feu vert de l’ancienne métropole fait toujours partie intégrante du mécanisme de prise de décision. Par conséquent, le Conseil de Sécurité de L’ONU n’adopte jamais de résolution concernant un Etat africain sans prêter l’oreille au préalable à l’avis de son protecteur colonial. On peu en citer plusieurs exemples depuis les années 1990 : en Afrique francophone, l’implication de la France dans le génocide rwandais de 1994 ; la réforme agraire qui plaça le Zimbabwe sous le coup de sanctions économiques internationales initiées par le Royaume-Uni ; le bras de fer en Côte d’Ivoire avec la France tirant les ficelles au Conseil de Sécurité de L’ONU ; l’intervention française au Mali, etc. Ces quelques exemples prouvent à quel point la route vers la décolonisation reste longue et tortueuse. Concentrons-nous sur l’intervention française au Mali. Le conflit qui oppose le nord du Mali, peuplé de nomades, au reste du pays depuis les années 1990 s’est exacerbé en mars 2012, juste après la chute du régime de Kadhafi en Libye. Depuis lors, l’armée malienne a été incapable de faire face à l’insurrection et toujours mise en déroute par les « jihadistes ».(6) Après dix mois de conflit et de médiations stériles menées conjointement par l’ONU et la CEDEAO, sous la présidence du Burkina Faso, la situation s’est aggravée depuis le début de janvier 2013. Le cessez-le-feu de facto entre le gouvernement malien et les différents mouvements islamiques représentés par le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) s’est effrité suite à la dernière attaque d’un groupe dissident, Ansar Dine, qui a tenté de saisir Konna et Mopti dans le sud, sur la route de Bamako. En reprenant le contrôle de ces villes du sud, le président malien a officiellement invité la France à intervenir pour protéger la république malienne en danger. Le gouvernement français a aussitôt déployé des troupes pour confronter Ansar Dine. La France s’est plus investie qu’aucun autre pays de la communauté internationale, montant en première ligne et dirigeant l’intervention, comme cela avait été le cas en Libye. Quel que soit le commentateur à qui l’on se fie, l’intervention française au Mali a ravivé une myriade de questions. Cette intervention a également été interprétée de plusieurs façons sur la scène internationale. Certains intellectuels et écrivains considèrent qu’elle marque un retour à ce qu’il est d’usage d’appeler Françafrique.(7) En revanche, un autre courant de pensée estime qu’il s’agit de la seule façon de s’attaquer efficacement au bourbier local en vue de préserver l’intégrité de l’Etat malien. Si seulement la France revenait à cette bonne vieille Françafrique. Si seulement les forces affrontées étaient les mêmes qu’autrefois, faciles à corrompre, à vaincre et à récompenser politiquement. Mais la France ne réalise pas qu’elle joue dans la cour des grands, ceux de la « Guerre Contre la Terreur »… Revenons quelques années en arrière, et transposons le conflit en Afghanistan ; que voyons-nous ? Nous voyons des forces religieuses, autrefois soutenues et armées par un pouvoir occidental, qui prennent le contrôle d’un pays et imposent une interprétation de la charia à une population terrorisée. Nous voyons une intervention étrangère pour « libérer » cette population, qui dans le cas du Mali, n’est même pas générée par un attentat similaire à celui du 11 Septembre 2001, mais qui entraîne cependant la précipitation d’un acte de terrorisme --certes préparé de longue date-- quelques jours plus tard, dans l’Algérie voisine, contre l’usine de gaz d’In Amenas. Nous pouvons ensuite prédire un enlisement impliquant des combats de type guérilla, avec les alliés locaux du pouvoir occidental commettant des crimes de guerre, etc. Nous visualisons aussi un possible débordement dans les pays voisins, une radicalisation accrue des islamistes à travers le monde, l’usage de drones, et la terreur d’Etat. Tiré par les cheveux ? Ce scénario a été joué et rejoué ces dernières dizaines d’années, au point que les champions du monde du terrorisme d’Etat, les Etats-Unis d’Amérique, ne sont même pas tentés, cette fois, d’y participer… Pour n’importe quel stratège sain d’esprit, cela devrait tirer une sonnette d’alarme – mais pas pour le gouvernement français, qui a encore plus de culot que ceux qui s’intitulent eux-mêmes « le superpouvoir du monde». Il est vrai que l’AFRICOM, la nouvelle force néocoloniale des Etats Unis en Afrique, avait entrainé de nombreux chefs Islamistes contre lesquels la France se bat en ce moment… Souvenons-nous qu’il y a un an à peine, la brillante stratégie française au Mali consistait à procurer à certains nomades les moyens de combattre des groupes proches d’al-Qaida. Souvenons-nous aussi qu’une fraction de ces nomades faisaient partie de l’armée de Kadhafi, alors que d’autres étaient sympathisants de l’insurrection libyenne dont plusieurs membres, tels que le gouverneur de Benghazi Abdelhakim Belhaj, était eux-mêmes proches d’Al-Qaida.(8) Jetons dans la balance une grande quantité d’armes soudain disponibles (suite à la chute du régime de Kadhafi, qui exerçait autrefois un contrôle très strict), les liens du sang et ceux du clan : rares sont ceux qui vont choisir de se battre contre leurs cousins pour défendre les intérêts de leur ancien maître colonial – cela paraît évident. Remémorons-nous aussi quelques notions très basiques d’étude des insurrections, dont n’importe quel officier a connaissance. Quand l’insurrection commence à s’organiser et lance ses premières actions militaires, elle va commettre des actes de terrorisme pour susciter une réaction du gouvernement, le plus souvent aux dépens de la population locale, prise entre deux feux.(9) Les actes de terrorisme commis par les « ennemis » de la France au Mali visaient les institutions de l’Etat malien, ainsi que les intérêts étrangers dans la région – dans ce cas précis, en Algérie. Le régime algérien est l’un de ceux qui ont réprimé l’islamisme de la façon la plus sanglante, au prix de milliers de morts parmi la population civile. Obtenir que les Français s’associent à ce régime sanguinaire en réponse à la crise des otages d’In Amenas a été un trait de génie de la part d’Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). Cela ne va faire que renforcer leur emprise sur la région, de même qu’au Mali.(10) En outre, les troupes de l’armée malienne, également alliées des Français, ont commencé à perpétrer des crimes de guerre…(11) Est-il jamais venu à l’esprit du président Hollande qu’en plus de « guerres justes », nous devrions aussi avoir des guerres propres? Il n’est guère surprenant que dans le cas d’une « guerre juste », les experts en droit se contentent d’analyser le cadre légal d’une telle intervention. Le courant juridique dominant considère, à juste titre, l’intervention française au Mali comme légale au regard du droit international, en raison de la résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU autorisant le déploiement d’une force internationale pour porter assistance à l’Etat malien. L’intervention française au Mali base aussi sa légalité sur le fait que le président malien a invité officiellement le gouvernement français à intervenir militairement sur son territoire. D’autres experts en droit international la fonderaient sur la responsabilité de protéger. Nous savons tous comment cela s’est terminé en Libye, maintenant qu’avec un recul de quelques mois, nous en sommes à peser les conséquences de la campagne pour « libérer » ce pays. Pourquoi la France est-elle aujourd’hui au Mali ? Ne cherchons pas plus loin que les intérêts économiques dans la région, particulièrement l’exploitation de l’uranium au Niger, ainsi que la lutte d’influence entre la France et les Etats-Unis depuis le lancement d’AFRICOM. Plus de deux semaines après le début de l’opération, la situation paraît s'éclaircir: les Forces spéciales françaises protègent désormais les mines d’Areva au Niger, tout comme les troupes américaines avaient « protégé » le ministère irakien du Pétrole pendant le pillage de Bagdad en avril 2003… Le pays est différent mais la bêtise est la même : l’histoire se répète à presque dix ans d’intervalle, bien que les pacifistes libéraux au grand cœur s’y intéressent beaucoup moins, puisqu’après tout, il ne s’agit que de l’ « Afrique »... Pendant ce temps, et en préparation a un réveil brutal dès que la France aura a se frotter aux Islamistes dans les montagnes du nord Mali, les médias continuent à rallier l’opinion publique française a grand coups de manuscrits anciens brûlés a Tombouctou, dont tout de même 90% avaient été rapatriés a Bamako avant le début de la guerre, et une partie du reste officiellement « brûle » doit déjà se trouver en route vers des collectionneurs prives de New York, Paris ou Tel Aviv…, et de femmes ôtant leurs voiles Islamiques en signe de liberté retrouvée… De qui se moque-t-on à part des Maliens infantilisés ? Des Français aussi bien entendu, car en temps de crise, la facture de l’Opération Serval ne sera pas des moindres pour les finances publiques. Pour reprendre les sages propos du professeur Michel Galy, la Guerre Contre la Terreur de Hollande se déroulant au Mali est, en fait, partie intégrante d’une « Guerre à l’Afrique » entreprise de très longue date.(12) Elle va traîner en longueur, et elle aura des conséquences dévastatrices pour la région et sa population. Nous aurions pourtant bien tort nous faire du souci ; cela va nous donner, à nous les travailleurs de l’industrie de la paix, des gens à sauver pour de nombreuses années – comme cela a été le cas dans ce bon vieil Afghanistan. Notes: 1 http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-20991719, consulté le 25 janvier 2013. 2 http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-19155616, consulté le 25 janvier 2013. 3 http://www.nytimes.com/2012/08/01/opinion/the-end-times-for-timbuktu.html, consulté le 25 janvier 2013. 4 http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20121009.FAP0010/hollande-une-intervention-au-mali-pour-eradiquer-le-terrorisme-dans-l-interet-du-monde.html, consulté le 25 janvier 2013. 5 Gerald Caplan, L’Afrique Trahie, Actes Sud Junior, Arles, 2009. 6 Jihadistes: C’est le nom que se donnent les membres du MUJAO, d’AQMI et d’Ansar Dine. Ils disent que la guerre qu’ils mènent est une guerre sainte. 7 Françafrique: Ce nom explique la relation trouble et difficile à comprendre entre la France et ses anciennes colonies. Ce concept a été popularisé par Jacques Foccart, autrefois le principal conseiller de Charles De Gaulle. Il a également été conseiller de François Mitterrand. Pour plus de détails au sujet de ce mot « magique » inventé par l’ancien président ivoirien Félix Houphouet-Boigny, voir Patrick Pesnot, Les Dessous de la Françafrique (Nouveau Monde Poche, Paris, 2011). 8 http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-14786753, consulté le 25 janvier 2013. 9 Roger Trinquier, La guerre moderne (Economica, Paris, 2008). 10 http://www.france24.com/en/20130120-algeria-hostage-crisis-death-toll-expected-rise, consulté le 25 janvier 2013. 11http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/01/25/nouveau-temoignage-sur-des-executions-sommaires-au-mali_1822443_3212.html, consulté le 25 janvier 2013. 12 http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/06/20/l-intervention-militaire-au-mali-n-est-pas-une-solution_1721307_3232.html, consulté le 25 janvier 2013.
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